L’Eurasie, avenir de l’Europe ? – S&P au festival de géopolitique de Grenoble

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Doit-on adopter l’attitude provocatrice de l’Union Européenne et des États-Unis face au développement de l’Eurasie continentale ou doit-on admettre qu’aucun équilibre sur notre continent ne pourra être établi sans un accord avec la Russie et la Chine ? Voici les questions qui ont rassemblé spécialistes, professeurs, élèves et citoyens au 6ème Festival de géopolitique à Grenoble, du 3 au 6 avril 2014, autour du thème Eurasie, l’avenir de l’Europe ?. Nous ne pouvions manquer cette occasion d’intervenir pour y défendre la voix de la paix par le développement mutuel autour de grands desseins communs, alors que la tempête ukrainienne menace le monde.

Et si on parlait de « paix »

L’événement s’est déroulé à quelques jours seulement de la visite du président Chinois Xi Jinping en France, proposant alors un rapprochement avec l’Europe au travers d’une nouvelle Route de la soie entre les deux continents. Il adressa un discours à nos « diplomates » français, les encourageant à penser le monde sans tomber mécaniquement dans ce qui différencie, ce qui divise, ou ce qui analyse froidement. Ce courage, nous l’avons trouvé chez certains intervenants du Festival, mais, sans notre présence, le mot « Eurasie » serait certainement resté pour beaucoup un concept lointain, cartographique, sans projets ni vision, où les conflits sont une fatalité.

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Par exemple, lors du panel Ukraine, entre l’Europe et la Russie, l’intervenante a vainement tenté de dépeindre l’histoire ukrainienne tout en masquant le rôle destructeur du FMI et l’ingérence des faucons occidentaux dans la prise de pouvoir de néo-nazis. A plusieurs reprises, nous avons pris la parole pour rétablir toute la lumière sur ce coup monté et dirigé contre la Russie, ce qui a inspiré d’autres à prendre la parole et à défendre le parti de la paix. « Dès leur prise de pouvoir, les ministres de Svoboda ont interdit la langue russe et ont demandé à faire une liste des Moscovites et des Juifs. C’est ça le nouveau visage de l’Europe ? » s’exclama une professeure de russe d’origine ukrainienne ; « J’en appelle au dialogue mutuel et au respect des cultures, ajouta-t-elle, à l’échange de nos richesses culturelles qui nous rassemblent ».

À un autre panel sur l’ EuroMaïdan, l’intervenante présenta des images de victimes sur la place désormais symbole d’une conquête européenne, lançant un « vous voyez bien que ce ne sont pas des terroristes ! » et cherchant sans succès à prendre l’assemblée par les sentiments. Un de nos militants s’est alors saisi du micro : « désolé de vous décevoir, mais j’aurais pu vous faire un exposé avec le même type d’images pour montrer tous ces morts parmi ceux qui ont manifesté contre cette Europe dévoyée. » Mais l’Ukraine est-elle vraiment la source du conflit qui secoue l’Eurasie et le monde ? Cette lecture simpliste est loin d’être la pensée dominante parmi les spécialistes que nous avons croisés.

Donne-moi l’Eurasie, je te donnerai le monde

Il est rare d’entendre un spécialiste prendre la parole et saisir toute une salle par son franc-parler et un engagement qui va au delà des mots. Parmi les plus inhabituels, le jeune chercheur à l’Institut de Stratégie Comparée à Paris Olivier Zajec, qui provoqua son audience en illustrant très habilement le transfert de la doctrine impériale britannique vers l’appareil d’État américain durant et après la Seconde Guerre Mondiale.

D’après ses recherches très détaillées, la publication de Halford MacKinder en 1904 qui présentait la partie nord de l’Asie (Russie) comme la clé du monde à contrôler n’avait pas rencontré de succès chez les Américains, qui qualifiaient son papier de remâché répugnant de la doctrine impériale britannique. Il fallut attendre 1942 pour qu’un certain Nicholas Spykman réédite son pamphlet avec de nouvelles cartes incluant l’Amérique, et que la doctrine MacKinder attire soudainement l’attention des milieux anglophiles aux États-Unis. « C’est de cette doctrine qu’émergea la fameuse politique de « containment » (encerclement) de la Russie, poussée par Harry S. Truman, qui déboucha sur la Guerre Froide ».

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La politique actuelle d’encerclement de la Russie et de la Chine.

Plus tard, cette théorie enfanta de deux idéologues, Henri Kissinger et Zbigniew Brezinski, dont les écrits modéliseront une nouvelle science de la géopolitique belliciste en Eurasie. « Après la chute du mur, on aurait pu s’attendre à la fin du bipolarisme mais ce sont des éléments de continuité qui s’imposent, et c’est ce que représente Brezinski. Pour lui, il faut contenir la montée en puissance de la Chine et une possible renaissance de la puissance russe en divisant l’Eurasie en sous-pôles de puissances autonomes, gagnés à la démocratie libérale (…) Certains Américains ont tiré la sonnette d’alarme et ont appelé à dire adieu à MacKinder, mais rien n’a changé sur le fond dans le passage de pouvoir entre George W. Bush et Obama. Seule la méthode a changé » nous confia Olivier Jazec. « Vous avez raison de souligner qu’il serait temps que nos dirigeants reviennent au principes de respect de souveraineté des Etats-nations que représente l’esprit westphalien [cf. encadré ]. L’histoire nous appelle au calme et à la tempérance », a-t-il ajouté. Yves Lacoste, père de la géopolitique française, n’a lui aussi pas hésité à clamer lors de son intervention qu’il était temps de « foutre MacKinder à la poubelle ! » Quelques autres intervenants ont souligné que personne ne gagnerait à ce jeu macabre, présentant quelques projets ambitieux mais sans pour autant amener une alternative d’ensemble.

Nous étions les seuls à proposer une vision claire et précise de ce à quoi le monde ressemblerait sans MacKinder, la City et Wall Street. Suscitant l’intérêt, nous avons pris contact avec de nombreux intervenants et visiteurs, distribuant quelques centaines de nos journaux pour alimenter l’imaginaire et forger les grandes idées qui feront l’Eurasie de demain. Car l’alternative à cette paix, c’est un in fine conflit mondial.

La Paix de Westphalie

Le traité de Westphalie de 1648 mis fin à la guerre de Trente ans et permis l’émergence de trois principes fondamentaux :

  1. L’Etat-nation devient le fondement exclusif du droit international, garantissant l’égalité devant le droit des petits Etats avec les grands, ainsi que l’intangibilité des frontières au nom d’un principe de souveraineté nationale. C’est, en droit, la fin du Might makes right (le droit du plus fort) et la fin des empires.
  2. Eclairé par le principe chrétien d’agapè, le pardon mutuel permet, s’il est authentique, de mettre un terme à des guerres motivées par des vengeances et le pillage devenu source de remboursement de dettes illégitimes.
  3. L’annulation de ces dettes, et la réorganisation du système financier international qui s’en est suivie, sont la base d’une paix durable, car fondés sur un avenir meilleur et un développement mutuel. C’est le modèle universel de tous les bons traités de paix.

En vidéo : Les Traités de Westphalie pour sortir de la logique d’Empire

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