Mettons fin à l’apartheid économique en Europe
Lançons le lisbonne-kiev !

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Elle vous fait rêver l’Europe actuelle ? Bof. Il faut dire qu’elle ne correspond pas à l’idéal qu’on pouvait s’en faire : à la place de l’émancipation des peuples, nous avons gagné l’austérité. Aujourd’hui, on pourrait même parler d’un véritable apartheid économique européen.

Pourtant, vous ne pouvez pas vous empêcher d’y croire encore, n’est-ce-pas ? Bah oui. Et c’est normal ! Qui, en écoutant la 9e symphonie de Beethoven, l’hymne européen, n’aspire pas à tisser cette amitié entre les peuples à travers de grands projets communs mobilisateurs ?

Avant l’euro, l’Europe était ambitieuse. Le Livre Blanc de 19941, présenté par Jacques Delors, plaidait pour une politique de grands travaux infrastructurels sur tout le continent ainsi que des projets d’échanges culturels entre jeunes européens (Erasmus, Leonardo…). Si ces-derniers ont effectivement vu le jour, les premiers sont restés lettre morte car jugés trop « coûteux » et peu adaptés à la nouvelle économie mondialisée. Ce fût notamment le cas du projet de ligne à grande vitesse (LGV) Lisbonne – Kiev2 (cf. carte 1).

Le corridor n°5 « Lisbonne-Kiev » tel qu'envisagé en 1994

Carte 1 – Le corridor n°5 « Lisbonne-Kiev » tel qu’envisagé en 1994

Ce choix d’un pragmatisme suicidaire a poussé les pays européens les plus avancés vers la désindustrialisation et l’exploitation d‘une main-d’œuvre bon marché en Asie et en Europe de l’Est au détriment du développement propre de ces pays. Aujourd’hui, ce système a atteint son paroxysme avec la grande valse des « travailleurs déplacés », ces ouvriers qualifiés venus de l’Est ou du Sud de l’Europe qui sont payés au salaire du pays hôte mais avec les charges patronales de leur pays d’origine (ce qui revient trois fois moins cher pour l’employeur3). Cette concurrence déloyale entre européens attise les tensions entre nations et favorise la montée des extrêmes. Si l’on veut démêler ce sac de nœuds et retrouver une belle « unité dans la diversité » européenne, il est temps de réécouter Beethoven

avec une oreille plus attentive et de relancer les feux d’une Europe du progrès matériel et moral, où tous les hommes sont frères.

Lyon-Turin, ça ne va pas assez loin !

Le 19 novembre, un premier tout petit pas a été franchi dans la direction que nous appelons de nos vœux. Le Parlement européen a approuvé le budget 2014-2020 de l’Union Européenne (UE) et son enveloppe de 23 Mds€ pour les grands axes de transport transcontinentaux4: ces derniers se sont notamment mis d’accord pour financer à hauteur de 40% le tunnel de base transfrontalier entre St-Jean-de-Maurienne en France, et Suse en Italie, pour un total de 3,4 Mds€ (cf. carte 2). Pour les partisans du tunnel ferroviaire Lyon-Turin, c’est une victoire mais, en fait, ça ne suffit pas…

plan-LGV-Lyon-Turin

Carte 2 – Le projet de ligne ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin

La liste « Lyon2014, ville pionnière ! » soutient le projet Lyon-Turin qu’elle juge indispensable au redécollage industriel d’une Europe en lambeaux. Pour autant, en l’état, il n’est pas viable ! Il faut arrêter de se moquer de nous ! Il y a trois raisons essentielles à cela:

  1. le Lyon-Turin n’est qu’un bout de projet. Il est censé être la clé de voûte de la liaison Lisbonne-Kiev, une épine dorsale Ouest-Est pour l’Europe. Or le Lisbonne-Kiev n’est plus à l’ordre du jour de l’UE. Une clé sans sa

    voûte n’a pas beaucoup d’intérêt ! Il faut absolument mener à terme tout le projet, de l’Atlantique à l’Oural comme disait De Gaulle !

  2. le coût financier du projet (environ 25 Mds€) ne pourra pas être pris en charge dans une Europe où règne une austérité draconienne ;

  3. le cynisme des élites politiques pourrait éveiller la colère des opposants pacifiques au projet, et alimenter des mouvements violents de type anarcho-décroissant, opposés à L’État-nation et à toute forme de progrès. En effet, nombreux sont ceux qui voient derrière le projet Lyon-Turin une dérive autoritaire de l’oligarchie financière ultralibérale qui cherche à imposer « toujours plus de croissance dans un monde aux ressources limitées ». Cette idéologie est malheureusement souvent le dernier recours d’une population en colère qui ne trouve pas de solution politique pour allier le progrès et la solidarité dans un même élan créatif.

Sans surmonter ces trois obstacles, le projet Lyon-Turin sera un échec cuisant et l’Europe n’aura plus les moyens de contenir la fronde sociale qui arrive de toutes parts.

Un projet émasculé

Les opposants au Lyon-Turin ne cessent de le répéter : le trafic de marchandises entre la France et l’Italie a considérablement diminué depuis le milieu des années 90, alors que les prévisions étaient à la hausse au moment de la conception du projet dans les années 805. Pour eux, la nouvelle ligne ferroviaire est donc inutile et coûteuse, et il suffirait de moderniser la ligne existante pour absorber le trafic du fret. Dit comme cela, ils ont raison. Mais pourquoi ce trafic a-t-il diminué ? Le député-maire UMP d’Aix-les-Bains, Dominique Dord, à l’origine favorable au projet, résume bien l’affaire : « Comme c’est la Chine qui produit la majorité de ce que nous consommons, les marchandises arrivent par les ports de la Méditerranée et sont acheminées vers les consommateurs européens par des lignes ferroviaires orientées Nord-Sud ». Autrement dit, c’est la mondialisation qui rend inutile la construction de lignes Ouest-Est ! Argument imparable, repris par des opposants écologistes pour qui le combat contre la finance mondialisée est décidément à deux vitesses… Les Suisses et les Autrichiens, eux, se sont rapidement adaptés à cette réalité en construisant trois tunnels sous les Alpes (Lötschberg, St Gothard et Brenner) permettant la circulation des marchandises chinoises en Allemagne, au Royaume-Uni et dans le Nord de l’Europe (cf. carte 3).

Le-seul-Tunnel-Est-Ouest

Carte 3 – Le Lyon-Turin servira à construire l’Europe de l’Atlantique à l’Oural

Mais que va devenir l’Europe continentale dans tout ça ?

Prise dans l’étau libéral, sa production industrielle « moins compétitive » décline inexorablement et le chômage touche de plus en plus fortement sa jeunesse. C’est pour cela qu’il faut aller plus loin que le Lyon-Turin et défendre une liaison Lisbonne-Kiev. En effet, pour contrecarrer ce déclin et engager une reconquête de notre appareil industriel, il faut redynamiser les centres productifs nationaux, notamment en périphérie de l’Europe : c’est ce que peut permettre le Lisbonne-Kiev. D’autant plus qu’on ne pourra pas compter éternellement sur les réussites du passé, il faut bâtir une dynamique nouvelle pour relancer notre industrie!6

En ce sens, il faudra veiller à ce que le Lisbonne-Kiev ne devienne ni un radeau de fortune pour « travailleurs détachés » exploités en France ou en Allemagne, ni un moyen plus commode de délocaliser la production de ces pays vers des pays à moindre coût salarial (ce qui est compatible avec le principe de « concurrence libre et non faussée » promu par l’UE et Gérard Collomb !).

Il est indispensable de rompre au plus vite avec l’idéologie libérale manichéenne selon laquelle « moins cher c’est mieux ». Cela n’a aucun sens. D’ailleurs, l’économiste allemand Friedrich List s’est déjà chargé de le montrer avec force au début du 19e siècle7. Quant à Pierre Mendès-France, il écrivait dans sa République moderne, au lendemain de la Libération : « Personne ne peut plus défendre sincèrement le libéralisme du dernier siècle, personne ne croit plus à la valeur de la vieille formule : « laissez faire, laissez passer » ». Le Lisbonne-Kiev est donc tout à la fois un acte de résistance face à cette idéologie régressive, une mesure protectionniste intelligente et une planification maîtrisée de l’état futur d’une Europe réindustrialisée. S’arrêter au Lyon-Turin soulagerait l’ego de certains mais ne ferait rien avancer pour nos enfants. Pour nous, le Lyon-Turin n’est d’intérêt public que s’il débouche sur le Lisbonne-Kiev.

Où trouver l’argent ?

Répondre à cette question implique de nous replonger dans le système qui a fait renaître notre République en 1945. Ce système, c’était celui du Programme du Conseil National de la Résistance, rédigé dans la clandestinité sous l’Occupation, et qui fonda le régime politique, économique et social de l’après-guerre. Avant de continuer la lecture de mon article, je vous propose de lire ce texte fondateur de notre République8, vous en serez très certainement surpris.

Pour « évincer les grandes féodalités de l’argent de la direction de l’économie », la première mesure fut de séparer les banques d’affaires et les banques de dépôts, de nationaliser les grands moyens de production dans l’intérêt général et de nationaliser la Banque de France afin de reprendre le contrôle de l’émission de monnaie et du crédit public9. Avec ce système, l’État pouvait « s’emprunter à lui-même » pour financer la modernisation des équipements de production de la nation et permettre ainsi à de nouvelles activités d’irriguer les forces productives de la population. Cependant, ce système a un défaut (qui peut aussi être considéré comme un avantage !) : il nécessite un État responsable qui ait une vision positive et compétente de l’avenir ! Autrement, l’inflation est inévitable. C’est le fameux « pari sur l’avenir » dont parlait Jacques Cheminade pendant sa campagne présidentielle en 2012 : l’Etat a une marge de manœuvre indépendante de son budget (et donc de l’impôt) pour lancer de grands travaux pour le futur et court-circuiter les paralysies passagères de l’économie. Avec le Traité de Maastricht de 1992 et de Lisbonne de 2007, le crédit public tel qu’il fonctionnait à l’époque, a été interdit. Il faut y revenir d’urgence ! Sans ça, le projet Lisbonne-Kiev ne pourra malheureusement jamais voir le jour. En tout cas, ce n’est certainement pas avec le crédit délivré pas la Banque Centrale Européenne (BCE) de Mario Draghi (ancien de la banque d’affaires américaine Goldman Sachs) exclusivement destiné aux privés que cela arrivera ! L’Europe continuera à s’enfoncer dans l’austérité car les Etats seront incapables de payer leur dette avec le peu de richesses qu’ils génèrent ! Or, ni M. Hollande, ni M. Collomb ne semblent disposés à traiter le mal à la racine. Il faut donc les remplacer ou les forcer, par la mobilisation citoyenne, à agir sur ce point.

Le péril anarcho-décroissant

Ces deux premiers problèmes traités, il en reste un dernier – et non des moindres – qui concerne la population : comment faire pour la convaincre que le projet est « d’intérêt public ». Lors des débats publics organisés par Réseau Ferré de France (RFF), les habitants des communes traversées par la ligne Lyon-Turin ont manifesté leur peur de voir cette infrastructure dénaturer le paysage et leur flanquer des migraines carabinées à cause du bruit. Il faut leur donner raison sur ce point : l’on se doit de remédier à ces problèmes même si cela coûte plus cher. Ce n’est pas aux habitants de s’adapter à l’infrastructure nouvelle mais, au contraire, l’infrastructure nouvelle doit s’adapter à l’environnement humain. Ensuite, il y a une grande crainte des agriculteurs de voir leurs terres recouvertes par cette LGV, notamment au niveau des embranchements, et que, par conséquent, cela nuise à la productivité de leurs exploitations. C’est effectivement un problème propre au TGV qui n’existe pas dans le cas, par exemple, de l’aérotrain puisque la voie est en hauteur et l’emprise au sol est quasiment nulle10. Certains craignent également que les déblais des tunnels envahissent leurs terrains de façon sauvage. Il faut leur donner toutes les garanties pour que cela ne soit pas le cas et utiliser les carrières désaffectées pour les stocker. Les va-et-vient des camions déblayeurs doivent aussi être bien gérés, quitte à utiliser des camions électriques ou à hydrogène pour faire moins de bruit. Les routes dans les villages devront être refaites après l’arrêt du chantier. Si le creusement doit se faire à travers une couche rocheuse riche en uranium radioactif ou en amiante, il ne faut pas le cacher à la population et expliquer au mieux les moyens à employer pour garantir la sécurité de tous. L’Etat est au service de la population, pas des banques ou des industriels. Sachant cela, on peut résoudre les problèmes liés au chantier et à l’exploitation de l’infrastructure. En revanche, ce qui est plus difficile mais autrement plus fondamental à régler c’est : d’un côté, le cynisme – exacerbé par les contraintes budgétaires – des élites publiques, qui tend à les couper des préoccupations légitimes des habitants et à considérer leur refus comme une défiance alors que ce sont seulement des interrogations. De l’autre côté, l’opposition anarcho-décroissante qui considère que tout grand projet est une fuite en avant vers la croissance effrénée et la destruction des ressources naturelles limitées. Les premiers doivent se projeter un peu plus en avant car ils verront que ce projet n’est pas grand chose par rapport aux exigences réelles du futur, les seconds doivent défendre avec nous la fusion thermonucléaire contrôlée pour multiplier les ressources disponibles pour tous les habitants de la Terre.

Notre approche consiste à dire que la croissance de l’activité humaine est une nécessité pour améliorer nos conditions de vie matérielles, intellectuelles et sociales. Cette croissance s’acquiert au gré de découvertes scientifiques et technologiques fruits de cette singularité humaine : la créativité. Mais cette créativité ne doit pas s’exprimer n’importe comment. Ni avec n’importe qui. Aussi, il appartient aux citoyens de contrôler le processus politique qui dirige cette créativité. Lorsque ce système politique devient totalitaire, il faut rentrer en résistance et proposer un Nouveau Programme positif qui puisse satisfaire à la croissance de la population, de son génie et de sa générosité.

C’est ce que nous tentons de faire au sein de la liste « Lyon2014, ville pionnière ! ». Rejoignez-nous ! Et vive le Lisbonne-Kiev !

A la mémoire de Nelson Mandela, dit Madiba.

 

Petit calendrier récent sur l’avancée du projet

18 novembre 2013 : le Parlement français a adopté la loi de coopération avec le gouvernement italien.
20 novembre 2013 : lors du sommet franco-italien, François Hollande et Enrico Letta ont réaffirmé la priorité du projet.
Fin 2014 : Date prévue du début des travaux (annonce de François Hollande).

 

Notes:
1. lire l’article de l’Express sur « le plan Delors » en décembre 1993 : http://www.lexpress.fr/informations/le-plan-delors-l_606206.html
2. lire l’article de « La Repubblica » de Rome sur la réalité actuelle du corridor n°5 : http://www.presseurop.eu/fr/content/article/2122061-lisbonne-kiev-en-tgv-depart-retarde
4. en France, le budget alloué aux infrastructures de transport est de 2,5 Mds€ par an. Le Schéma National d’Infrastructure de Transport (SNIT) préconise 245 Mds€ de dépenses pour de nouvelles infrastructures : pas de panique, dans un siècle les transports du 20e siècle seront terminés !
6. Il est ironique de voir que des manifestations, parfois violentes, ont eu lieu à Kiev en Ukraine pour réclamer une collaboration plus étroite avec l’UE, alors qu’à Athènes, à Madrid ou à Lisbonne, la population manifeste pour que la Troïka (UE-BCE-FMI) arrête de les étrangler ! La Constitution portugaise a été récemment l’objet d’attaques par les financiers et la BCE qui voulaient imposer une plus grande libéralisation du travail dans le pays. Heureusement, le Conseil Constitutionnel portugais a rejeté toute demande de réformes. Mais les financiers sont prêts à en découdre.
7. lire « Le monde est en marche » sur la révolution des transports au 19e siècle, par Friedrich List : http://www.solidariteetprogres.org/documents-de-fond-7/economie/article/le-monde-est-en-marche-friedrich-list.html
8. le Programme du Conseil National de la Résistance de 1944 : II – mesures à appliquer dès la libération du territoire http://www.citoyens-resistants.fr/spip.php?article113
10. lire la présentation de Jean-François Grilhaut-des-Fontaines et Vincent Crousier, candidats S&P aux législatives dans le Tarn-et-Garonne : http://www.solidariteetprogres.org/nos-actions-20/aerotrain-redecouverte-principe-science-politique-9696.html
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